«Je me suis laissé aller
à ce qui me plaît»

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Gérard de Palézieux nous a reçus chez lui à Veyras pour un long entretien.
Rencontre avec un grand monsieur à l'occasion de la parution du cinquième
tome de son œuvre gravé par la Bibliothèque des Arts.

 

 


VERONIQUE RIBORDY

On dit Palézieux, comme on dit Morandi ou Co­rot. La Bibliothèque des arts publie le cinquième

tome de son œuvre gravée. «Le Garde-Voie» de Chappaz vient également de paraître avec cinq gravures de Palézieux aux Editions Conférence. A 87 ans, Gérard de Palézieux continue d'enrichir son corpus et de graver dans sa maison de Veyras. Une maison qu'il n'avait plus ouverte à un journaliste depuis bien des années.                                     .

La petite maison de Veyras s'est figée dans le temps. En poussant le portail, il nous semble remonter le temps et revenir à cette année 1943, lorsque Palézieux, de retour de Florence, décide de poser son baluchon en Valais. Dans le jardin, Mme de Palézieux, 80 ans bien sonnés, bine ses salades et nous sourit au passage. Sous les toiles du salon, souvenirs d'amis peintres, Palézieux feuillette l'album qu'il vient d'éditer avec Chap­paz: « Une illustration n'a qu'un rapport indirect avec le texte, elle n'image pas une phrase précise, mais évoque un climat. C'est du moins ainsi que je l'entends.»

Du Paladin à Finges

Chappaz est l'un des rares amis de jeunesse que le peintre fréquente encore. Les amis de Pa­lézieux en Valais «c'est pas lourd» à part l'écrivain Chappaz «rencontré au service militaire » ,le  ga­leriste Louis Moret et le peintre Chavaz qui partageait ses goûts: «On louait "des modèles ensemble et on peignait neuf à dix heures par jour.»  Palézieux a préféré rester à l'écart des sociétés d'ar­tistes: «Je ne suis pas un militant.» Plus que les gens, ce sont clairement les paysages qui l'ont retenu sur les coteaux de Sierre, la région peut-être la. plus méridionale du Valais. Palézieux puise toujours dans son immense réserve de dessins, constituée au fil d’innombrables promenades, surtout aux alentours de la pinède de  Finges qui lui rappelait le Palatin et les paysages toscans.

L’artiste n'a jamais regretté cette installation en Valais: «J'ai trouvé ici des rapports assez proches à

ceux de la Provence et de l'Italie.» Les débuts n' ont pas été faciles, mais peu à peu les collectionneurs sont venus: «j'ai eu de la chance. »

 

«La photo, c'est dangereux»

Pendant qu'il raconte, Palézieux suit du coin de l'œil les préparatifs du photographe; «C'est quoi cet appareil ? J'avais un Canon. Mais j'ai ar­rêté, c'était dangereux. En peinture, il faut simplifier, éviter trop de détails. »  Plus tard, il dira : « Il y a une quantité de gens qui chargent et fatiguent la vision d'une gravure.»

 

Sensible aux gris

Comme pour la gravure, la photographie l'intéresse quand elle est «subtile et sensible aux rapports de valeurs. La tendance moderne est de tirer sur le blanc et le noir. Je suis sensible aux, gris.»  Débute alors l'exposé condensé de ce qui fait une des fortes originalités du peintre,  son infinie connaissance des techniques de gravure et d’impression.  Après l’eau-forte et la pointe sèche, il est passé à la lithographie et au vernis mou : « Cela m'a permis d’aller vers les gris; de rechercher des valeurs différentes entre le noir et le blanc. Je me suis laissé aller à ce qui me plaît. »

 

les petits papiers

Sous les combles à Veyras, au sommet d'un, au sommet d’un raide petit escalier, Palézieux continue de passer plusieurs heures, «deux ou trois, pas plus »,dans son atelier. Les tommettes jaunes sont à peine

écaillées, l'atelier fleure .bon la térébenthine, la presse attend sa ration joumalière, un peu à l'écart de la table où sont alignés burins et ciseaux .C'est aussi là que Palézieux conserve sa bibliothèque de travail, des peintres, Chardin, Le Lorrain, mais surtout de la gravure, Rembrandt, Segers. Contre  le une Vierge d'Antonello da Messina, une autre de Piero della Francesca, ne nature morte de Morandi et un grand autoportrait en noir et blanc de Corot. Beauté du dessin, délicatesse des couleurs, dépouillement vers

l’essentiel: tout son credo en quatre images. Palézieux cite Degas: « Si je devais recommencer, je ferais du noir et blanc. »  Lui aussi, bien qu'il ait fait des paysages dans la lignée des grands voyageurs du XIXe siècle, il affirme que la couleur l'intéresse moins.» J' aime les aquatintes de Degas, Co­rot, Morandi».  il montre ses dernières créations et murmure: « l’horizontale des natures -mortes me pose problème.» il tire des petits papiers  aux ,verts passés de ses cartons, des papiers anciens qu’il chine et sur lesquels il teste de nouveaux ef­fets d'encrage. Le travail sur papier le passionne sous toutes ses formes, aquarelle, dessins, monotype, gravure: « je fais des multiples avec des dessins qui me plaisent. Au début je tirais trop, jusqu'à cinquante feuilles. Maintenant j'arrête à 20 ou 25.» La fin de l'entretien approche. Le peintre sort encore quelques rêves de sa large musette: « j’aimerais retrouver la technique de la tempéra de la Renaissance italienne, la subtilité de n'utiliser que quatre ou cinq couleurs, du blanc, du rouge, du jaune. Je n'ai plus la force, il me faudrait un "botch» pour broyer les couleurs. »  Encore un autre rêve, «  faire des balades, pouvoir m'arrêter au bord de la route pour dessiner, retourner à Finges, avoir le plaisir de respirer».

Palézieux nous raccompagne à sa porte. "C'est vrai, je me suis trompé d'époque. Jusqu'à Corot, ça aurait pu aller.»